Histoire/Genre/Migration
Sessions du Mercredi 29 mars après midi Amphithéâtre Jules Ferry, École Normale Supérieure, 29 rue d'Ulm, 75 000 Paris
Résumés des communications
13h45 – 16h Réfugié(e)s/ Refugees and Exiles
Discutante : Natacha
Lillo, Université Paris-VII (Paris, France)
• Sylvie
Aprile, Université François Rabelais, CEHVI (France),
De l'exilé à l'exilée, une histoire sexuée de
la proscription politique outre manche et outre atlantique sous le second
Empire, [A Gendered History of French Exile, 1848-1870]
Peut on être une exilée ? La grande figure de référence
de l’exil au XIXème siècle est celle d’une femme
: Mme de Staël. Pourtant -mais est ce un paradoxe ?- l’histoire
de l’exil ne s'intéresse guère aux exilées et
aux proscrites. Plus encore que pour les hommes, on semble perdre leur trace
après la répression et leur départ. Or au même
titre que l'immigrée, l'exilée contredit l'image stéréotypée
d'un éternel féminin voué au foyer et donc à
l'immobilisme. Cette mobilité féminine n'inverse pas le propos
et il reste que c'est plutôt l'homme qui tente l'aventure, qu’elle
soit politique ou économique. Pourtant une multiplicité de
trajectoires individuelles permettent d'identifier trois figures féminines
définies par l’histoire des migrations et appliquées
ici à l’exil. La première est celle de l’épouse,
la ´ femme qui reste � mais qui n'est pas passive, assumant en partie
le rôle de l'homme et partageant l’opprobre qui entoure l’exilé.
C’est elle qui assure la survie matérielle et psychologique
de la famille pendant que son mari est contraint à résider
à l’étranger. Les hommes proscrits, surtout dans les
premiers temps, partent seuls en raison des contraintes du passage clandestin
et parce que l'exil ne semble pas devoir durer. Leurs femmes apparaissent
souvent seulement dans leurs correspondances et sous la plume de leurs biographes
comme les gardiennes du foyer, réclamant souvent de l'exilé
qu'il rentre, même en s’humiliant par la grâce.
La seconde figure féminine qui se dégage est celle de la ´
suiveuse �, selon le terme employé par Nancy Green, dont le rôle
est également à réévaluer dans la structuration
et le maintien des réseaux familiaux et ici politiques. Accompagner
son époux représente une contrainte d'autant plus forte que
le départ n’est pas un choix. L’image magnifiée
de la compagne qui adoucit la peine d’exil devient un topos mais a
contrario la femme toujours jugée plus fragile supporte moins bien
l’exil : les privations matérielles mais aussi la séparation
d’avec sa famille entraïnent une autre représentation
tout aussi négative et passive, celle de la femme qui sombre dans
la nostalgie voire le suicide. La palette des expériences professionnelles
à la lecture des correspondances féminines et des sources
de la loi de réparation de 1881 montre une plus grande capacité
d'adaptation que ne le disent les récits d'exilés. Sans statut
politique, les épouses ou filles de proscrits peuvent aussi rentrer
et sortir de France se chargeant de conserver la trame d'un tissus politique
souvent souterrain et méconnu.
La dernière figure est celle de l'exilée proprement dite,
émigrante à part entière, condamnée ou proscrite
volontaire partant seule comme les migrantes célibataires. Inquiétées
à égalité avec les hommes au lendemain du 2 décembre
1851, ces femmes partent s'installer à l'étranger et sont
même passibles des mêmes peines. La loi de réparation
nationale reconnaît même à certaines d'entre elles les
mêmes droits à une pension à titre personnel. De ces
figures de militantes déçues par la politique telle qu’elle
est pratiquée en France et dont les hommes les ont exclues émergent
une circulation spécifique des idées et des reconversions
militantes qui rendent aussi peu audibles leur parole.
L'éloignement ancre ainsi l'ancienne activiste française,
Jenny d’Héricourt, installée à Chicago, dans
un mouvement féministe international, médiatrice des relations
entre les Américaines et les Françaises. Pour d’autre
c’est vers le champs de l’abolitionnisme ou le spiritualisme
que se déplacent leurs réflexions et actions.
Ces trois figures ne permettent pas seulement de repenser l'importance politique
de la migration féminine, elles permettent de réinterroger
les catégories du temporaire et du permanent et les questions qui
touchent aux formes l'engagement et du désengagement, à la
division des sphères publiques et privées.
• Patrick Farges, Université de Bourgogne, Département
d’allemand (France), « Nous les Camp Boys » : Constructions
de la masculinité dans les récits des « réfugiés
internés » � au Canada (1933-2003) [«
We the Camp Boys ». The Construction of Masculinity in Canadian Camps,
1933-2003]
La migration forcée due à la mise en place du régime
nazi en Allemagne et à son extension en Europe a conduit environ
5000 à 6000 personnes de langue allemande, menacées en raison
de leur appartenance raciale, religieuse ou politique, à trouver
refuge au Canada. Cette translation géographique, culturelle et sociale
est couramment appelée « exil ». Après avoir longtemps
privilégié les personnalités culturelles et politiques,
les études sur l’exil « Exilforschung » ou «
Exile Studies » – se sont depuis plus d’une dizaine d’années
recentrées sur « l’exil des petites gens » (1)
et sur les processus d’intégration et d’acculturation.
La présente communication s’inscrit dans le cadre d’une
recherche de doctorat sur l’acculturation au Canada de ces exilés,
c’est-à-dire sur l’adaptation de normes, valeurs et pratiques
culturelles entraînée par la migration.
Parmi ces exilés se trouvaient un groupe d’environ 1 000 hommes,
âgés en 1940 de 16 à 60 ans. Il s’agissait de
réfugiés du nazisme, des Juifs d’origine allemande ou
autrichienne pour beaucoup, qui avaient trouvé refuge en Angleterre.
Au printemps 1940, répondant à une opinion publique qui craint
la présence d’une « cinquième colonne »
sur le sol britannique, Churchill fait interner certaines catégories
de « ressortissants d’un pays ennemi » (enemy aliens)
(2). En juin, quelques milliers d’hommes sont envoyés, au hasard
des listes, dans des camps d’internement canadiens et australiens,
où ils resteront entre plusieurs mois et plusieurs années,
les dernières libérations ayant eu lieu en 1943. Dans le cas
canadien, ces hommes, « déportés par erreur »
sont devenus des « immigrants accidentels » (3) qui ont dû
(re)commencer une existence au Canada. Souvent considérés
comme des immigrants modèles, dont l’assimilation aurait été
parfaite, les « Camp Boys » ont conservé tout au long
de leur vie des réseaux d’amitié informels et des pratiques
commémoratives discrètes.
Dans le cadre de notre projet, nous avons procédé depuis 2002
à une trentaine d’entretiens d’histoire orale. Ces sources
orales sont par ailleurs complétées par la collecte, dans
des fonds d’archives locaux ou privés, de diverses sources
écrites à caractère autobiographique : mémoires,
correspondances et autres « ego-documents ». S’il est
nécessaire de tenir compte des problèmes liés à
la fiabilité des sources orales et autobiographiques, l’intérêt
de ce corpus est peut-être justement de déplacer le regard
vers les stratégies narratives mises en œuvre, et d’essayer
d’en comprendre les raisons. Ces stratégies narratives sont
éminemment genrées. Nous montrerons notamment en quoi les
divers « ego-documents » sont un moyen de réinsérer
un destin personnel construit comme masculin dans un cadre collectif intelligible.
Une expérience vécue ne devient un événement
biographique qu’après qu’il a été repensé,
reformulé, approprié. Cette reformulation est nécessairement
informée par des catégories collectives, par des scripts disponibles
dans une société donnée, sans lesquels une expérience
n’est pas socialement communicable. En effet, une narrativité
s’instaure nécessairement, avec ses codes et ses contraintes.
On ne raconte pas ce qui s’est passé, mais il s’est passé
ce qu’il est possible de raconter. L’objet de la communication
est de mettre en évidence le croisement entre les stratégies
narratives à l’œuvre dans les récits des anciens
« Camp Boys » et les discours sur la masculinité dans
la société canadienne d’après-guerre, mais aussi
dans l’historiographie sur l’exil.
L’expérience d’internement et le confinement «
entre hommes » sur une période de plusieurs mois ont a ici
joué un rôle déterminant. Pour de nombreux « Camp
Boys », l’internement par la Grande-Bretagne succédait
à un internement en camp de concentration en Allemagne (à
Dachau ou Oranienburg), consécutivement à la Nuit de Cristal.
Véritable microcosme, condensé de la société,
mais aussi première instance d’acculturation et matrice de
la constitution d’une certaine masculinité, le camp d’internement,
ressenti rétrospectivement comme un vacuum biographique, foisonnait
d’activités et de pratiques. Le camp d’internement a
parfois joué le rôle de sas transitionnel entre deux cultures
: il a nettement densifié le moment de « passage » (4).
Nous nous intéresserons particulièrement aux rites, aux débats
et aux hiérarchies internes, mais également à l’exercice
du pouvoir sexuel en fonction de l’âge. Si de nombreux témoignages
et documents attestent de l’existence d’une économie
homosexuelle au sein du camp, les mémoires et récits de vie
tentent d’en effacer les traces.
Nous aborderons ensuite le problème des attentes en matière
de rôles genrés dans l’exil, telles qu’elles sont
racontées dans les récits de vie. Si la recherche sur l’exil
des personnes fuyant le nazisme a récemment mis l’accent sur
le point de vue des femmes en exil, montrant que les femmes étaient
dans l’ensemble plus à même de s’adapter aux nouvelles
conditions de vie, il convient conjointement de reconsidérer les
rôles sociaux modifiés qu’ont joué les hommes
en exil. Comment les « Camp Boys » ont-ils vécu le clivage
entre le rôle qu’ils « auraient dû » jouer
en exil et leur situation dans le « no man’s land » de
l’Histoire : internés, séparés de leurs familles,
coupés du monde.
Enfin, nous présenterons en quoi les « ego-documents »
récoltés contribuent à transmettre une mémoire
spécifique. Cette mémoire n’est pas en accord avec le
« grand récit » d’une « success story »
migrante d’après-guerre. La réussite sociale visible
des « Camp Boys » au Canada, maintes fois soulignée,
n’en dissimule pas moins un hiatus, relevé par la seconde génération.
Pour diverses raisons que nous présenterons, les « Boys »
ont bien souvent occulté l’expérience de leur internement.
Certains enfants de réfugiés-internés n’étaient
pas au courant du passé de leurs pères : c’est ce que
thématise notamment le documentaire de Wendy Oberlander, Nothing
to Be Written Here (5).
(1) Il s’agit de la traduction du titre de l’ouvrage programmatique,
centré sur l’histoire du quotidien des exilés et dirigé
par l’historien allemand Wolfgang Benz (éd.) (Das Exil
der kleinen Leute. Alltagserfahrungen deutscher Juden in der Emigration,
Munich, Beck, 1991).
(2) Cf. David Cesarani & Tony Kushner, The Internment of Aliens
in Twentieth Century Britain, Londres, Frank Cass and Co., 1993.
(3) Cf. Paula J. Draper, « The Accidental Immigrants: Canada and the
Interned Refugees », Thèse de doctorat, Université de
Toronto, 1983 ; Id., « The Camp Boys. Refugees from Nazism Interned
in Canada, 1940-1944 », in Enemies Within: Italians and Other Internees
in Canada and Abroad, éds. F. Iacovetta et al., Toronto, University
of Toronto Press, 2000, pp. 92-111.
(4) Cf. Nancy L. Green, « Trans-frontières – Pour une
analyse des lieux de passage », in Socio-anthropologie 6.2.
(1999), pp. 33-48.
(5) Wendy Oberlander, Nothing To Be Written Here, documentaire, 47’,
Studios Video In, Vancouver, 1996.
• Laurence
Brown, University of Manchester, Department of History (Angleterre),
Gender, Race and the Construction of Refugee Identity in the Revolutionary
Caribbean, 1814-1815 [Le genre, la race et la construction
de l’identité du réfugié dans les Caraïbes
au temps des révolutions, 1814-1815].
This paper examines the flight of over five hundred refugees from civil
war in Venezuela to the neighbouring British colony of Trinidad in 1814.
While British authorities initially attempted to block the immigration of
black refugees from the Spanish Main, this state policy was transformed
by the mass arrival of women and children fleeing a brutal guerrilla war.
Beginning in mid November 1814, Afro-Caribbean women and their infants were
the first refugees that reached Trinidad. Government policies towards these
refugees were powerfully shaped by the visions of gender and race which
had been formed during the two previous decades of imperial wars and slave
revolts. During the early 1800s, black refugees from slave revolutions in
the French Antilles and British Windward Islands had arrived in Trinidad,
increasing white fears about the possibility of race war and domestic insurrection.
The Afro-Caribbean refugees from Venezuela entered a slave society that
was already marked by the spectre of the Haitian revolution and in which
both black women and men faced escalating persecution and prejudice.
The arrival of the 1814 refugees coincided with the British imposition of
slave registration on their Caribbean colonies as means to force the amelioration
of slave conditions. While these measures were strongly contested by white
elites in Trinidad, they also directly shaped the registration of refugees
from Venezuela. Reflecting official concerns with public order and the revolutionary
threat of black refugees, the register of arrivals detailed their origins,
their employment in Venezuela, their connections to the war, their claims
to free status, and family or friends in Trinidad. The 1814 register therefore
provides a unique window into the lives and movements of Afro-Caribbean
women across the revolutionary Caribbean.
One hundred and sixteen black women are recorded in the 1814 register which
highlights the impact of gender and family networks in shaping their experiences
of migration. Many of these women had already fled the revolutionary wars
of the 1790s in Guadeloupe, Martinique, St Vincent and Grenada (See Table
1). Their movements as refugees were heavily influenced by family connections,
as most female refugees had been accompanied by family members to the Spanish
Main, and many had family in Trinidad. While existing research has emphasized
the significance of family networks in shaping white refugee movements from
the Greater Antilles to the North American mainland during the 1790s, this
research highlights how black women were active agents in negotiating movements
between the slave societies in the Southern Caribbean. (1) Compared to other
refugee flows of 1790s, the high numbers of children which accompanied these
women reveals their success in maintaining family structures despite their
repeated experiences of forced emigration.
Table 1: Afro-Caribbean Refugees from Venezuela to Trinidad, 1814-1815
The 1814 register also provides considerable detail about how these Afro-Caribbean
refugees were able to reconstruct their lives in Venezuela, after their
initial emigration in the 1790s. Arriving on the Spanish Main, many women
became cotton planters, while others worked as hucksters, seamstresses and
washerwomen. Although black women tended to dominate these latter occupations
in slave society, their rapid engagement in small farming provides a very
different vision to that based on the free black communities in the urban
ports of the Caribbean. The extent of intra-island marriages between these
immigrants is also striking.
Through constructing detailed life histories this paper seeks to show how
gender shaped state policies towards black refugees and its impact on migrant
experiences of mobility, family and work. The racialisation of gender took
on a heightened resonance during the early 1800s when white authorities
were obsessed with the “loyalty” and “insubordination”
of both free and enslaved blacks. Moving between these revolutions, Afro-Caribbean
women crossed between rural and urban worlds in their efforts to maintain
their families’ freedom.
(1) R. Darrell Meadows, “Engineering Exile: Social Networks and the
French Atlantic Community, 1789-1809”, French Historical Studies,
23, 1, 2000, pp. 67-102.
• Aurélie
Audeval, Université Paris VII, Les réfugiées allemandes
et autrichiennes vues par l'administration française de 1936 à
1942 : enjeux nationaux, enjeux sexués [Female Austro-German
Refugees as Seen by the French Administration, 1936-1942]. [Texte]
Dans cette proposition de contribution, je vais revenir sur l’épisode
assez célèbre de l’exil germanophone en France de 1933
à 1945 mais en parler sous l’angle du rapport de l’Etat
français aux allemandes et aux autrichiennes. En effet, si l’épisode
de l’exil est sorti de la sphère allemande de l’Exilforschung
et a fait l’objet d’études qui l’ont inscrit dernièrement
dans le cadre de réflexion plus global qu’offre l’histoire
de l’immigration en France, il n’a jamais été
traité (dans le cas de la France) dans une problématique de
genre. Les femmes exilées sont passées sous silence, disparaissent
sous la geste des figures phares de l’exil que sont par exemple Brecht,
Thomas Mann, Feuchtwanger, et Max Ernst. Pourtant la réalité
de cet exil en France, qui débute avec l’arrivée de
Hitler au pouvoir en janvier 1933, est tout autre. Parmis les 50.000 personnes
environ qui ont fait le choix de la France, 80% sont juifs, 40% sont des
femmes et la majorité ont moins de 35 ans. Nous sommes loin des figures
phares. Cet état de fait vient aussi des sources. Presque sans surprise,
elles offrent le constat désolant mais assez récurrent, d’une
présence lacunaire des femmes. Signe de cette invisibilité,
le manque d’études sur l’internement des femmes, alors
que les travaux au sujet des camps se multiplient.
Pourtant, au delà même de leur propre histoire, l’arrivée
de ces femmes allemandes est intéressante dans ce qu’elle va
provoquer au sein de l’administration française. En effet,
toute une série de circulaires leur est spécialement dédiée.
Ainsi, je vais me concentrer ici sur le rapport qu’entretient l’administration
avec ces réfugiées, ou plus précisement sur les représentations
administratives qui sous-tendent les politiques entreprises à l’encontre
de ces femmes. C’est à dire de replacer l’administration
française dans son rôle de protagoniste subjectif, comme une
instance produisant un discours marqué par un ou des discours idéologiques.
Or, si cette dimension subjective a déjà été
mise en avant dans d’autres études, elle ne l’a été
que sur les problématiques concernant les cadres national/étranger
ou opposant politique/intérêt d’Etat. La dimension de
genre est restée occultée. Il est donc intéressant
de ce pencher sur la question ; comment l’administration française
se positionne-t-elle idéologiquement en terme de genre face à
ces femmes migrantes ? Quel rôle va-t-elle jouer à partir de
ses prises de positions? Dans quelle mesure la question du genre modifie-t-elle
la question nationale ? Ou bien d’autre facteurs entrent-ils ici en
jeu comme l’antisémitisme, l’appartenance politique ou
bien encore la question allemande ? Bref, il s’agit ici, de tenter
de saisir ce qui a été déterminant parmis la multiplicité
d’altérités portés par ces migrantes. En mettant
en avant l’idée que ces migrantes sont comme un miroir permettant
à l’administration de se définir par rapport à
elles, et de tisser un discours où finalement en parlant de l’autre
elle parle d’elle même, cela nous permettra de tenter une esquisse
de l’identité de cette même administration et de la comparer
avec celle éventuellement obtenue par d’autres chercheuses
ou chercheurs sur d’autres migrations.
Afin de tenter de répondre à ces questions, je vais développer
deux exemples précis. Le premier concerne la période de la
troisième République et plus particulièrement la question
du mariage entre allemandes et étrangers. Pour le second, je vais
m’attarder sur le centre d’émigration féminin
de Bompard à Marseille dans les années 1940-1942. Ce centre,
qui fait partie du maillage des camps d’internement, n’a, à
ma connaissance, fait l’objet d’aucune étude, bien qu’il
permette notemment une compréhension de l’internement en terme
de genre. Autour de ces deux exemples, il sera possible de tracer les contours
d’une politique administrative genrée de l’immigration
.
La question du mariage est essentielle quand il est question d’immigration
des femmes en France. En effet, c’est le chemin classique vers l’intégration
nationale. Du fait d’une législation napoléonienne qui
faisait dépendre identitairement les femmes de leur mari, une française
est avant tout l’épouse d’un français. C’est
à dire qu’une étrangère épousant un français
devenait française, et une française épousant un étranger,
devenait étrangère. Ceci dure jusqu’à la loi
de 1927, où les femmes françaises peuvent garder leur nationalité
originaire. Ceci signifie qu’à partir de cette date, un sujet
féminin devient autonome quant à son identité nationale.
Il s’agit d’une véritable avancée mais qui paradoxalement
va s’avérer problématique pour les exilées. En
effet si la loi de 1927 ne concerne que les françaises, l’idée
d’une autonomie identitaire des femmes perdure et les allemandes semblent
être les premières étrangères à être
vues comme étrangères avant d’être vues comme
des femmes suceptibles de devenir mères et épouses de français.
Cela va même plus loin, elles sont considérées comme
potentiellement ennemies de la nation française, leur identité
d’allemande primant alors sur celle de femme. Se pose dès lors
le problème de l’intégration nationale qui semble dangeureuse
pour la nation. De fait, à partir de 1937, celles voulant se marier
avec un français sont suspectées par l’administration
et toute une série de circulaires précise les modalités
du mariage avec des ressortissantes du IIIè Reich. Les mariages mixtes
de ce type sont soumis au visa du conseil d’Etat. C’est dire
l’importance accordée à ces faits qui sont traités
comme des affaires d’Etat. L’intégration tant vantée
et souhaitée des étrangers, afin de leur faire perdre leur
dangerosité d’étranger, semble devenir au contraire
un danger plus grand. L’administration tient à garder cette
marque d’étrangeté sur l’ensemble des réfugiés
d’Allemagne. Paradoxalement, les femmes deviennent plus suspectes
que les hommes exilés qui, ne pouvant pas devenir français
par le mariage, sont rassurants car ils restent identifiables en tant qu’étrangers.
Il est intéressant de noter, à propos de l’internement,
que va se mettre en place une structure identique à celle notée
sur le mariage. Le centre d’émigration de Bompard, censé
facilité l’émigration vers d’autres pays, ouvre
à Marseille en juillet 1940. La majorité des femmes internées
ont leur mari aux Milles et se retrouvent dans la situation de gérer
les papiers nécessaires à leur émigration commune.
Pour ce faire, il leur était possible de se rendre en ville pendant
la journée. Cette relative liberté a pour incidence de les
rendre suspectes car non identifiables pendant quelques heures. Cette identification
semble donc être devenu un problème central pour l’administration
dont l’enjeu final est le contrôle. C’est là que
la dimension genrée de l’administration ressurgit : en effet,
mis à part celles qui ont la chance d’émigrer, les seules
qui sortent et qui sont laissées en liberté à Marseille,
sont celles qui ont une garantie masculine française de préférence
militaire. Comme si une mise sous tutelle masculine reconnue était
nécessaire et que, pour les femmes internées n’en possédant
pas, l’administration se voit comme leur responsable masculin. A ce
titre, il est intéressant de souligner la négation du caractère
masculin des maris étrangers. Ce contrôle sur les corps est
de fait lié à la sexualité, et il n’est d’ailleurs
pas innocent que ces femmes soient suspectées pour beaucoup de prostitution
et que des prostituées soient également conduites dans ce
centre. L’enjeu de fond semble se jouer autour de la sexualité
des femmes étrangères, menaçante pour la nation française,
synonyme de désordre et de corruption.
A travers l’exil des allemandes et des autrichiennes, c’est
donc effectivement le visage sexué de l’administration qui
apparaît. Une administration qui se veut garante d’un certain
ordre masculin et où ces étrangères apparaissent comme
le plus grand danger. Etrangères qui doivent donc être d’abord
clairement identifiées et de préférence porter les
stigmates de leur altérité, pour être mieux contrôlées
par un protagoniste masculin reconnu, qu’il s’agisse d’un
homme ou de l’administration. Dans ce système, le camp apparait
alors comme une excellente garantie.
• Silvia Salvatici, Université de Teramo (Italie), The English Government and European Women Refugees after World War II [Le gouvernement anglais et les femmes réfugiées après la seconde guerre mondiale]. [Texte]
Recent studies have criticized the preference given to analyses
of the refugee phenomenon focusing essentially on the problem of humanitarian
disaster, since this eventually devolves into the question of providing
assistance, overlooking the original understanding of the necessity to mobilize
against the violation of human rights. The refugee problem thus undergoes
a process of “depoliticization," i.e., a loss of the collective
awareness of the extremely profound political, social and cultural reasons
underlying the situation. This approach transforms the refugees - and women
refugees in particular - into powerless actors, the inevitable result of
temporary crises, people seen as having needs rather than rights.
Restoring sufficient historical depth to the understanding of the refugee
problem constitutes a necessary first step in laying bare the loss of political
significance and restoring a complexity to the refugee question as it came
to be understood in the course of the 20th century, starting with the establishment
of a system of nation states, followed by the advent of two world wars and
then the process of decolonization. In this sense, the conjunction between
historical analysis and a gender-based approach seems especially useful
since the emphasis placed by public discourse on the prevalence of women
among the refugee population seems intimately connected to the process of
"depoliticization" in discourse about refugees. In other words,
a strong interaction emerges between the socio-cultural construction of
feminine gender and the figure of the refugee insofar as they are considered
non-political subjects, needing merely assistance and protection.
On this basis I propose to pursue a specific focus on the millions of women
who at the end of World War II populated the numerous refugee camps of Germany,
Austria and Italy (countries under Allied occupation), examining three aspects
of the situation in particular:
a) the relationship between the international political situation (beginning
with the events and outcomes of the global conflict, then followed by the
Cold War) and the causes of the most serious refugee crisis experienced
in Europe. This relationship also influences the gender component of the
refugee populations, which were predominantly masculine when the population
consisted primarily of disbanded armies (e.g., the Polish refugee population),
but predominantly feminine in situations involving civilians compelled to
flee advancing combat fronts (e.g., Baltic communities).
b) the connection between gender identity, national identity and the experience
of exodus in the context of post-war Europe, which points to the re-establishment
of an order based on nation states and the introduction of an element of
destabilization in the enormous mass of refugees. The political strategies
undertaken by the authorities to resolve the question of the refugees are
different for men and for women, given that they perpetuate the gender imbalances
of citizenship which characterize western societies.
c) the way in which international agencies pursued, at first, a program
of return and then a program of resettlement (as constrained by the Cold
War). The specific implications of gender significantly influenced the development
of resettlement programs, which in their first attempts saw the English
government take on thousands of women refugees from the Baltic countries
as sanatorium attendants («Balt Cygnet Operation», 1946-1947).
The British experience of the «Balt Cygnet» serves as a kind
of laboratory testing the effects of both the political and the social meaning
of resettlement and the idea of integration. It reveals a western Europe
dedicated to rebuilding national democracies that receive refugees without
recognizing their story or their rights. As the hereby proposed paper intends
to point out, this kind of integration coincides with a push towards boundaries
determined by the type of employment, by ethnic group but most of all by
gender identity.
16 h 15 – 17 h 45 Conclusion
• Leslie Page Moch, Michigan State
University (USA), « Provinciaux et provinciales à Paris sous
la IIIe Republique », [Men and women from the «Provinces»
in Paris at the End of the Third Republic »]
• Vers une analyse du genre. [Conclusion] Nancy
Green, Ecole des hautes études en sciences sociales, Centre de
recherches historiques (Paris, France), Nicole
Fouché, Centre national de la recherche scientifique, Centre
d’études nord-américaines de l’Ehess (Paris, France),
Conclusion du colloque.