Première parution in Jean-François Féraud, Dictionaire critique de la langue française (1787), reproduction fac-similé, Tübingen: Niemeyer, 1994, t. I, Préface de Philippe Caron et T.R. Wooldridge.
Le Dictionaire critique, continuateur formel du Dictionaire gramatical, ajoute au dictionnaire général du français une dimension qu'il n'avait pas dans les ouvrages de Trévoux, Richelet ou l'Académie française: celle d'un texte codifié au point de donner à l'article une forme d'ensemble cohérente. Alors que chez ses devanciers l'articulation des articles se faisait essentiellement par la mise en paragraphes sériels, simple développement des alinéas de la lexicographie bilingue du Moyen Age et de la Renaissance, Féraud brise la linéarité discursive du texte en lui donnant une structure plus significative, visuelle, donc plus consultable, basée sur la délimitation typographique des champs informationnels: emploi systématique des abréviations et des signes délimiteurs. Cette codification connaîtra son aboutissement cent ans après dans le Dictionnaire général.
A la place des "On dit", "On dit aussi", "X signifie aussi" égrenés des recueils antérieurs, Féraud pratique la numérotation des sens ("I°.", "2°.", "3°."...), accompagnée ou relayée, en subordination, par des traits doubles ("��") ou simples (""), les simples étant subordonnés aux doubles. Dans un article type, on trouve d'abord le champ des adresses, dans lequel sont généralement regroupés alphabétiquement les différents membres d'une famille dérivationnelle lorsque ceux-ci se suivent dans l'ordre alphabétique absolu de la nomenclature: FIN, s.; FIN/FINE, adj.; FINAL/ALE, FINALEMENT; FINANCE, FINANCER, FINANCIER, s.; FINANCIERE, adj.; FINASSER, FINASSERIE, FINASSEUR/EUSE; FINAUD/AUDE; FINEMENT, FINESSE, FINET/ETTE; FINESSER; FINI/IE; FINIR. La vedette est imprimée en grandes capitales, les sous-vedettes en petites, chacune suivie par l'indication en abrégé de la catégorie grammaticale: "GAGE, s. m., GAGER, v. a. et n. GAGEUR, EUSE, s. m. et f. GAGEURE, s. f.".
Vient ensuite innovation absolue (c'est la première fois qu'elle est donnée de façon systématique dans un dictionnaire général français) le champ de la prononciation des mots-adresses; celui-ci est délimité par un crochet ouvrant et un crochet fermant, la prononciation étant donné sous une forme codée: "[Gaje, je, jeur, jeû-ze, jûre : 2e e muet au Ier, é fer. au 2d, lon. aux 3 derniers.]" c.-à-d. "2e syllabe... au Ier mot... au 2e mot... aux 3 derniers mots". La Table des abréviations (t. 1, xvi) donne, en plus de formules utilisées dans d'autres champs, quelques-unes des abréviations utilisées pour la prononciation: "Diph.", "Dout." ("douteux", en parlant de la quantité voir t. 1, x), "Fer.", "Monos.", "Ouv.", etc.
Le troisième champ est généralement le plus large, puisqu'il contient le traitement sémantique et syntaxique. La mise en un seul paragraphe ou en plusieurs, l'emploi des chiffres et des tirets, la hiérarchisation ou non des tirets, sont fonction de l'importance des données. A l'intérieur du macro-article, le traitement des mots-adresses peut être discret (LOURD/LOURDE, 1° à 6° dans un premier paragraphe; LOURDAUD/DAUDE, LOURDEMENT, LOURDERIE/LOURDISE traités séparément dans un deuxième), imbriqué (BÉGAYER "c'est...", BÉGAIMENT "c'est...", "Le verbe se dit...", "Figurément...", "Il est quelquefois actif...") ou synthétique (BEUGLEMENT, BEUGLER "Ces mots expriment le cri du beuf et de la vache."; voir aussi LOUCHE, LOUCHER).
La différence entre sous-adresses et exemples est une question de degré de lexicalisation; Féraud tend à marquer la distinction par l'emploi de l'italique pour les premières ("Voir venir de loin, se douter de ce qu'on nous va dire."), et des guillemets ouvrants pour les seconds (" Loin de vous je m'ennuie."), avec la possibilité de degrés intermédiaires (" Parler de loin, d'un temps éloigné."). La signature des exemples signés suit généralement la citation (" Loin d'eux s'enfuyoit le doux sommeil. Télém.").
Le dernier champ systémique est celui de la remarque critique, normalement introduit par le délimiteur "REM." ou "Rem.". Il est souvent plus étendu que le traitement sémantique et syntagmatique, puisqu'il donne son plein sens au deuxième terme du titre de l'ouvrage (Dictionaire critique) et qu'il renferme un texte plus discursif, moins codé, que les autres champs. Sa place est, soit à la fin de l'article, soit à la suite d'un traitement sémantique ou syntagmatique particulier. Tout comme le troisième champ, celui-ci peut être ponctué par des numéros d'ordre et des tirets. Les remarques de Féraud appartiennent à la tradition des traités d'usage, allant de Vaugelas à Grevisse, plutôt qu'à celle du dictionnaire de langue.
Il faut mentionner enfin deux types d'informations occasionnelles: la synonymie (certain-sûr-assuré s.v. CERTAIN; bénin-doux-humain, bénignité-douceur-humanité s.v. BÉNIGNEMENT) et l'étymologie, cette dernière n'étant mentionnée que quand elle explique un fait de prononciation ou de graphie (BEUF; BELVEDER).
Si le système mis en oeuvre par Féraud dans le Dictionaire critique connaît un certain nombre d'inconséquences BERNEUR "celui qui berne" dans un article à part à la suite du macro-article BERNE-BERNEMENT-BERNER, au lieu d'en faire partie; prononciation absente (BÉTA; LUBIE), entre parenthèses (BELLONE), ou sans délimiteurs (BELVEDER); absence de séparateur typographique entre deux sémèmes (INTITULÉ, s.m. INTITULER, v.act. "Titre. Doner un titre."); absence de "Rem." devant une remarque (LOQUENCE; LOYER) , il réussit à donner à la microstructure du dictionnaire de langue une forme d'ensemble, cohérente et multi-dimensionnelle, que les modernes Littré, Darmesteter, Robert, Dubois et Rey ont su perfectionner.