Le Web comme corpus d'usages linguistiques
Russon Wooldridge
University of Toronto
Octobre 2003
(Texte préparé pour un article paru dans les Cahiers de lexicologie, 85 (2004): 209-25.)
Introduction
1. Le mot normand douet
2. Familles de mots et dérivation
2.1. Enfirouaper et ses dérivés
2.2. La famille du verbe scribouiller
3. Syntagmes et paradigmes
3.1. Esprit de corps, esprit d'équipe
3.2. Madame la ministre / madame le ministre
3.3. Se moquer de qch/qn comme de sa première chemise
4. Confusions homophoniques, paronymiques, morphologiques
4.1. Sous les meilleurs auspices / sous les meilleurs hospices
4.2. Conjecture / conjoncture
4.3. Pluriels en -x
5. Usages canadiens et usages français
5.1. Courriel vs. email
5.2. Pourriel vs. spam
6. Genèse du concept "une autre mondialisation" et dénomination lexicale par altermondialisation
7. Sélectivité dictionnairique et extensivité du Web : doudou
Conclusion
Introduction
Jusque récemment la linguistique de corpus était l'affaire de spécialistes travaillant en équipes munies d'équipements et de logiciels coûteux sur des corpus élaborés avec grand soin à partir de critères de sélection finement déterminés. Avec l'avènement du World Wide Web et surtout depuis que le WWW s'est enrichi considérablement à tous les niveaux depuis les sites gouvernementaux jusqu'aux pages personnelles et aux forums en ligne, les mêmes spécialistes, comme aussi toute personne s'intéressant au fonctionnement de la langue contemporaine, ont à leur disposition un corpus tout fait et en plus dynamique, donc synchronique : l'ensemble des documents trouvables dans le Web. Toutefois, comme dans la linguistique de corpus traditionnelle, la valeur des résultats d'une interrogation du Web dépend toujours d'une interprétation intelligente. Il n'est pas douteux que nombre d'aspects de l'usage linguistique ne soient convenablement observables que par les méthodes de la recherche spécialisée. Un des grands avantages du Web-corpus par rapport aux corpus élaborés réside dans la rapidité avec laquelle on peut dépister certains types de phénomènes linguistiques.
L'autre avantage majeur du Web réside dans sa nature dynamique. Tout comme la langue elle-même, il se renouvelle sans cesse et offre ainsi des instantanés de l'état actuel de la langue, avec sa dose d'usages nouveaux, établis ou vieillisants.
Nous illustrerons notre propos en regardant différents phénomènes linguistiques : mots, familles de mots et dérivation, syntagmes et paradigmes, confusions homophoniques, paronymiques et morphologiques, usages canadiens et usages français, genèse d'un concept et dénomination lexicale, sélectivité dictionnairique et extensivité du Web.
1. Le mot normand douet
Au bord des petites routes du Pays d'Auge, on voit des panneaux annonçant qu'on suit la "Route des Douets". Avant d'aller consulter en bibliothèque atlas linguistiques ou glossaire régionaux, on peut chercher ce mot dans les pages francophones du Web :
"La route des « douets » (ruisseaux en patois Normand) passe par ici et alimente un très ancien lavoir" (Page sur Saint-Hymer, en Pays d'Auge)
"La Route des Douets. Elle vous fera connaître les eaux-vives du Pays d'Auge, ces « douets », petits ruisseaux allant se jeter dans la Touques, et quelques rivières telles que l'Yvie et la calonne." (Page sur Villers-sur-Mer, en Pays d'Auge)
"Le bourg est traversé par un petit cours d'eau, le Doig (appellé aussi le Beuvronnais), qu'il suffit de prononcer à la normande pour retrouver ce qui est plus probablement son sens réel : le Douet, signifiant ruisseau en augeron (patois du Pays d'Auge)." (Page sur Beuvron-en-Auge)
On recueille tout de suite des informations linguistiques et pragmatiques, ces dernières étant plus difficilement trouvables dans les atlas et glossaires.
2. Familles de mots et dérivation
2.1. Enfirouaper et ses dérivés
Le verbe canadien enfirouaper est traité ainsi dans le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (DicoRobert, 1993) :
"Fam. embrouiller, emberlificoter qqn pour le tromper, le rouler. => duper, enjôler, entortiller, séduire. Se faire enfirouaper par un vendeur. => berner, jouer ; fam. pogner ; très fam. fourrer."
C'est un portrait sémantique et onomasiologique avec un seul exemple d'emploi. Quel est pourtant son usage réel ? Le Web nous a offert (en 1998 et 1999), entre autres :
"Comme un politicien, le génie cherchait un moyen
D'm'enfirouaper, c'est ben certain, c't'un beau menteur
Hey!" (Extrait de Le génie dans la bouteille, poème)
"A quoi servent les gestes?
A arracher, à séduire,
A enfirouaper, à conquérir;
Après, qu'est-ce qu'il reste?" (Extrait de A quoi servent les mots?, poème)
"Le romancier Yves Beauchemin (Le Matou) qui lui a dédié son roman, L'Enfirouapé résume ainsi la carrière de ce salonnier montréalais." (Page sur Henri Tranquille)
"Je suis la dernière arrivée. Denyse est sûrement une philanthrope ou plutôt une « félinthrope », une sensible qui se laisse enfirouaper. Autrement, elle m'aurait amené à la SPCA." (Extrait de Denyse Mageau vue par ses trois chats)
"Mais, comme toujours, les francophones au Québec n'ont été surpassés que par leurs congénères
d'Ottawa, politiciens et fonctionnaires. Et le Canada anglais s'est fait joliment « enfirouaper »." (Expression d'opinion politique)
"M. Gautrin: M. le Président, si vous le permettez, j'ai présenté une motion sans préavis. Le gouvernement dit oui ou non. Maintenant, qu'ils essaient d'enfirouâper ça pour toutes les raisons pour lesquelles ils disent non, moi, je n'en sais rien." (Débat de l'Assemblée nationale)
"Pas plus que la veille quand il s'était rué sur Eddie Irvine, pour lui dire son fait, un Villeneuve frondeur ne s'est laissé intimider, dans un affrontement décisif, avec l'Allemand qu'on disait tellement fort qu'il allait l'enfirouaper. Une saison de fou pour Jacques qui a démontré qu'il avait toute une carapace." (Le Soleil, journal)
C'est un mot onomatopéique, poétique et romanesque, dans la bouche d'une personne ou d'un animal (anthropomorphisme), politique, mot de bagarres de toutes sortes, de registres de langue différents.
Le moteur de recherche AltaVista, à la différence de Google, permet de découvrir des formes lexicales au moyen du joker de fin de mot. La requête enfirou* nous a révélé, entre autres, les dérivés enfirouapage et enfirouapeux :
"Considérant les commentaires de tout un chacun depuis que la Cour suprême a émis son avis, il semblerait que peu de gens l'aient scruté. D'autres l'ont lu, ou parcouru, mais n'en retiennent publiquement que les éléments qui leur conviennent un peu comme s'il s'agissait d'un bar à salade. On appelle cela de l'enfirouapage." (Site Canada Ensemble)
"Le ministre de l'enfirouâpage systématique étale son intransigeance crasse. Aujourd'hui, il fait dire aux juges de la Cour suprême ce qu'ils n'ont jamais dit." (Site Vigile « Je me souviens »)
"Mais voilà, les politiciens enfirouapeux et malhonnêtes font [sic] légions [sic]." (Page de Luc Richard)
On note le haut degré de productivité sémantique (effets de sens, registres) et morphologique (dérivés) du verbe enfirouaper.
2.2. La famille du verbe scribouiller
Prenons comme point de départ une phrase célèbre du Général de Gaulle :
"Et quant au reste, tout ce qui grouille, grenouille, scribouille, n'a pas de conséquence historique dans ces grandes circonstances pas plus qu'il n'en eut jamais dans d'autres." (Phrase tirée d'une allocution prononcée à Montréal en 1967)
Regardons maintenant le traitement du verbe dans le Trésor de la langue française (le mot manque à la plupart des dictionnaires moins extensifs) :
"SCRIBOUILLER, verbe intrans. Fam., péj., vieilli A. Être employé aux écritures. (Dict. XXe s.).
B. Écrire sans soin ou sans talent. (Dict. XXe s.)." (Trésor de la langue française)
On retient le deuxième sens de scribouiller, "écrire sans soin ou sans talent". Ajoutons les définitions données par le TLF pour scribouilleur "Celui qui scribouille; auteur, écrivain sans talent" et scribouillage "Action de scribouiller; résultat de cette action".
Dans le Web, on trouve bien sûr la phrase gaullienne, mais on trouve surtout (des centaines d'occurrences) le verbe scribouiller employé dans un registre familier et à effet atténuatif dans le babillardage en ligne. Par exemple :
"Quand je pense qu'à l'heure où je scribouille l'auteur du polar fait bronzette sur la passerelle
d'un cargo mexicanos qui transporte 5000 tonnes de chiquitas pour le marché européen..." (Liste [email protected])
Regardons maintenant le nom scribouilleur, ou plutôt scribouilleur, scribouilleuse, et scribouilleux. En juin 2003, le Web contenait c'est-à-dire Google trouvait 264 occurrences de scribouilleur(s), 987 occurrences de scribouilleuse(s) et 7 de scribouilleux.
Un scribouilleur est, comme dit le TLF, "celui qui scribouille; auteur, écrivain sans talent" :
"Henning Mankell est bien plus qu'un simple
scribouilleur de petits polars de divertissement; c'est un fin observateur d'une
société en perdition, un humaniste dans l'âme qui cherche à disséquer et tente
de comprendre ce monde étrange et malade dans lequel il vit, et nous tous
avec lui." (Marie-Claude Mirandette dans Le Devoir en ligne)
En revanche, un scribouilleux serait quelqu'un qui scribouille selon les normes du babillardage en ligne :
"Scribe : Les forums de la FPJQ? Ben non, à peu près tout ce qui compte de scribouilleux dans la province ont déjà reçu ta prose et ont installé des bozos filters en conséquence." (Forum Le Code) À noter que c'est le scribe qui préside ce genre de forums.
Quant à la scribouilleuse (le féminin est plus de trois fois plus fréquent que les deux formes du masculin réunies), elle semblerait devoir aon succès au nom d'un journal en ligne :
"Le Journal de la Scribouilleuse : Un pseudonyme qui cache un auteur qui nous narre au jour le jour l’ordinaire et l’extraordinaire d’une jeune femme parisienne. Le grand défouloir d'une scribouilleuse tantôt profonde tantôt délicieusement superficielle !" (Page de liens d'un site perso)
La page d'accueil du Journal de la Scribouilleuse ("Le journal de bord de la Scribouilleuse") contient, entre autres, les "plats" suivants (l'ensemble des rubriques forme un menu) :
"La Scrib au Québec [...] Le composite de la Scribouille [...] La revue de presse de la Scrib"
Autres unités à ajouter donc à la liste des membres de la famille lexicale de scribouiller : a) scrib, n. f. Abréviation de scribouilleuse ; b) scribouille, n. f. Surnom utilisé dans les récits interactifs :
"La Scribouille m'a avoué que malgré qu'il lise parfaitement le latin, souvent le contenu des textes qu'il recopiait pour nos maîtres restait incompréhensible. Et Dame Forgaill m'a expliqué qu'avant de les comprendre il fallait faire de très longues études avec des gens comme Maître Hérasmus ou Maître Radamanth. Je pense que je préfère avoir la Scribouille comme professeur."
Pour ce qui est de scribouillage (67 occurrences trouvées en juin 2003),
la grande majorité des emplois du singuilier ont la valeur péjorative du dictionnaire :
"[J]’espère que vous mesurez la chance que vous avez eu d’échapper à cet infâme
scribouillage." (Le Blog de Torpedo)
dont un écho du passé :
"L'important est que la mère et l'enfant soient réunis et que l'autre fillette
puisse rejoindre sa famille dans les meilleurs délais, le reste n'est que grenouillage et
scribouillage." (Observatoire de l'Afrique centrale)
Le pluriel montre clairement qu'il s'agit surtout du résultat de l'action de scribouiller plutôt que de l'action elle-même :
"Barbouillages et Scribouillages", titre de scénario (La Scénariothèque)
"Voilà mes petits scribouillages, bonne lecture à vous, mesdames." (Page de Scribouillages)
La famille de scribouiller aurait en quelque sorte deux visages dans le Web : d'une part, en retrait, le reflet du scribouiller des dictionnaires, et d'autre part, en avant, une forme qui, par son expressivité onomatopéique habillant un contenu d'actualité, sied merveilleusement bien au monde underground non académique, non scolaire et surtout non "littéraire" de l'écriture interactive en ligne : le monde des scribouilleuses, scribouillards, scribouilleux, scribouilles et scribs qui scribouillent leurs scribouillages dans des scribouillons, des scribouillards ou des scribouill'arts.
3. Syntagmes et paradigmes
3.1. Esprit de corps, esprit d'équipe
Ce sont des expressions de sens très proches (parasynonymes). Le Petit Robert privilégie la première, suggérant implicitement qu'elle serait plus lexicalisée, voire plus fréquente :
"Esprit de corps, d'attachement et de dévouement au corps, au groupe auquel on appartient. => corporatisme, solidarité. Esprit d'équipe." (s.v. ESPRIT)
Le Dictionnaire des expressions et locutions figurées (Robert, 1979) donne plus de précisions :
"Esprit de corps, «sentiment de solidarité entre les membres d'un groupe» (depuis 1767, in Wartburg). Esprit d'équipe a les mêmes emplois dans un contexte plus précis [...]." (s.v. ESPRIT)
Esprit d'équipe n'est pas daté mais serait plus récent qu'esprit de corps. Le Web montre clairement la prédominance d'esprit d'équipe dans le monde plus compétitif (esprit d'équipe imposé d'en haut) que solidaire (esprit de corps entre égaux) d'aujourd'hui :
Google, pages francophones (décembre 2002) : esprit de corps x 4 130 ; esprit d'équipe x 28 800.
Il n'est qu'à regarder les premiers résultats livrés par Google pour voir qu'esprit d'équipe est un terme/concept clé :
Titres de pages : "Avez-vous l’esprit d’équipe?" ; "Un pour tous, tous pour un. Favoriser l'esprit d'équipe." ; "Esprit d'équipe."
Adresse Web (URL) : "http://www.esprit-equipe.com/" ; dont une des balises méta est "<META NAME="Description" CONTENT="L'Esprit d'Equipe est une agence de marketing sportif organisée autour de 4 métiers complémentaires : les Relations publiques, le Sponsoring, l'Evénementiel et la Promotion de marques.">"
3.2. Madame la ministre / madame le ministre
On a pu, il y a quelques années, observer, à partir d'un corpus médiatique, que le français contemporain accepte de plus en plus facilement des appellations telles que Madame la ministre. Sans avoir à entreprendre le travail préparatoire de rassembler un corpus d'articles de journaux, on peut voir en un coup d'oeil la distribution suivante dans les documents en français du Web (fin septembre 2003) :
1. Google, Web : la ministre x 400 000
a) Google, Web : madame la ministre x 21 900 + mme la ministre x 14 300 = 36 200 = 77,00 % de a+b
b) Google, Web : madame le ministre x 5 280 + mme le ministre x 5 530 = 10 810 = 23,00 % de a+b
2. Google, pages canadiennes (.ca) : la ministre x 121 000
a) Google, pages canadiennes (.ca) : madame la ministre x 2 660 + mme la ministre x 2 220 = 4 880 = 98,87 % de a+b
b) Google, pages canadiennes (.ca) : madame le ministre x 38 + mme le ministre x 18 = 56 = 1,13 % de a+b
3. Google, pages françaises (.fr) : la ministre x 137 000
a) Google, pages françaises (.fr) : madame la ministre x 11 300 + mme la ministre x 8 250 = 19 550 = 72,70 % de a+b
b) Google, pages françaises (.fr) : madame le ministre x 3 090 + mme le ministre x 4 250 = 7 340 = 27,30 % de a+b
4. Google, pages belges (.be) : la ministre x 12 100
a) Google, pages belges (.be) : madame la ministre x 1 230 + mme la ministre x 359 = 1 589 = 93,97 % de a+b
b) Google, pages belges (.be) : madame le ministre x 80 + mme le ministre x 22 = 102 = 6,03 % de a+b
5. Google, pages suisses (.ch) : la ministre x 2 000
a) Google, pages suisses (.ch) : madame la ministre x 123 + mme la ministre x 30 = 153 = 80,53 % de a+b
b) Google, pages suisses (.ch) : madame le ministre x 28 + mme le ministre x 9 = 37 = 19,47 % de a+b
Ces chiffres bruts indiquent : d'une part, que la forme du féminin (du moins dans le syntagme Mme/Madame la ministre) est majoritaire dans la francophonie en général et dans quatre pays francophones en particulier ; et d'autre part, qu'elle a une fréquence plus élevée que la moyenne au Canada, en Belgique et en Suisse (presque exclusive au Canada), mais moins élevée que la moyenne en France.
3.3. Se moquer de qch/qn comme de sa première chemise
On sent là une expression idiomatique à formulation variable : un verbe appartenant au champ sémantique de se moquer de, un nom appartenant au champ des premiers objets possédés par la personne sujet du verbe. Les requêtes "comme de * premier" et "comme de * première" produisent, entre autres et avec peu de bruit (Google les montre dans l'affichage de ses résultats recherches de septembre et décembre 2002) :
Verbes : m'en tape, faire fi, m'en fous, s'en balancent, m'en tamponne, s'en carre, se fiche de, s'en crissent, se soucie de, s'en occuper, s'en préoccupent, s'en contrefout, s'en bat l'oeil.
Les noms varient encore plus, étant souvent choisis en fonction de la thématique du contexte ; par exemple :
- bulle en parlant d'injonction papale ("les Américains se moquent, comme de leur première bulle, de cette injonction papale"),
- perruque en parlant de Vivaldi ("Vivaldi, évidemment, s'en fiche comme de sa première perruque"),
- moustache en parlant de Georges Brassens ("dont Brassens se foutait comme de sa première moustache").
On notera quand même que le nom "normé" (attendu) chemise s'emploie 18 fois ; chaussette se retrouve quatre fois. Parmi les autres premiers objets plus ou moins "normaux" : paire de culotte (ou culotte tout court, culotte courte, couche-culotte, voire Sainte Culotte), paire de bobettes, sucette, socquette, robe, slip, caleçon, anorak, cotillon, biberon, cure-dents, kleenex, cheveu, baiser.
Les résultats obtenus dans le Web montrent le haut degré de productivité du syntagme.
4. Confusions homophoniques, paronymiques, morphologiques
Cette section ne sera pas dénuée d'intérêt pour le professeur de français qui cherche à comprendre les fautes de ses élèves.
4.1. Sous les meilleurs auspices / sous les meilleurs hospices
La confusion est si courante qu'il n'est pas surprenant que le site Web de France 2 ait affiché la deuxième version (avant qu'un lecteur lui signale la faute!).
Google, pages francophones (novembre 2002) : a) sous les meilleurs auspices x 2 970 = 88,45 % de a+b ;
b) sous les meilleurs hospices x 388 = 11,55 % de a+b.
La confusion homophonique ne se limite pas au dernier mot de l'expression :
Google, pages francophones (novembre 2002) : sous les meilleures auspices x 268 ; sous les meilleures hospices x 96.
Sans parler d'hauspices ou d'ospices.
4.2. Conjecture / conjoncture
La faute paronymique dans la conjecture actuelle, pour dans la conjoncture actuelle, serait bien moins fréquente que la faute d'homophonie que l'on vient de citer :
Google, pages francophones (avril 2003) : dans la conjoncture actuelle x 2 590 ; dans la conjecture actuelle x 15.
En revanche la confusion se perdre en conjectures / conjonctures s'avère moins rare :
Google, pages francophones (avril 2003) : se perd/perdent/perdre en conjectures x 1 030 ; se perd/perdent/perdre en conjonctures x 72
AltaVista, documents en français (avril 2003) : se perd* en conjectures x 214 ; se perd* en conjonctures x 22
Les occurrences de la forme fautive correspondent presque exclusivement à une confusion réelle ; une seule exception sous Google :
"On ne dit pas... 'La police se perd en conjonctures.' On doit dire... 'CONJECTURES' Hypothèses.." (Page Apprenez à bien parler le français)
4.3. Pluriels en -x
Il s'agit d'une zone complexe, et en partie floue, de la grammaire du français. Il y a d'abord les variantes admises :
cf. TLFI : "En fait, il y a flottement entre finals et finaux : le 1er semble être le plur. de la lang. cour. et des écrivains, le second celui des linguistes et des économistes; ex. : des b., d, g finaux, les résultats finaux (cf. DUPRÉ 1972, pp. 1011-1012)."
Les pages francophones de Google, à la date d'avril 2003, donnent les chiffres suivants :
résultats finals x 1 250 ; résultats finaux x 4 360
rapports finals x 1 120 ; rapports finaux x 1 800
examens finals x 719 ; examens finaux x 1 960
chantiers navals x 19 400 ; chantiers navaux x 57
combats navals x 685 ; combats navaux x 10
prénatals x 3 980 ; prénataux x 2 950
postnatals x 1 500 ; postnataux x 685
Il y a ensuite les fameux -oux :
bijous x 487 ; bijoux x 226 000
caillous x 645 ; cailloux x 52 100
chous x 1 170 ; choux x 77 200
genous x 1 620 ; genoux x 396 000
hibous x 345 ; hiboux x 10 900
joujous x 486 ; joujoux x 4 960
pous x 16 400 ; poux x 27 200
Bien entendu, ces chiffres, comme tous les chiffres bruts, sont à raffiner. Par exemple, le chiffre étonnant de 16 400 occurrences de pous comprend un certain nombre de noms propres et de coquilles (pous au lieu de pour).
Ajoutons les occurrences au pluriel de l'adjectif chou :
cf. Petit Robert : "Adj. inv. ce qu'ils sont chou."
Dans le Web (pages francophones de Google), nous avons trouvé en avril 2003 :
ils sont chou x 24 ; ils sont chous x 16 ; ils sont choux x 45
Terminons sur ce qui serait considéré par la grammaire scolaire comme des fautes grossières :
"Parc d'activités des Travails, Cagnes sur Mer" (Sites d'activités des Alpes Maritimes)
"PROGRAMMES NATIONALS DE FORMATION DU PROJET DISNET-STEP" (Page du site de l'Institut Universitaire de Technologie, Université de Bordeaux I)
5. Usages canadiens et usages français
5.1. Courriel vs. email
Le champ sémantique de courriel / email est assez difficile à cerner de façon statistique. Nous l'aborderons en partant de deux sites Web, l'un canadien, l'autre français :
"Anglais electronic mail Synonyme(s): e-mail. Français courrier électronique n. m. recommandé par l'Office de la langue française [...] Synonyme(s): courriel n. m., messagerie électronique n. f." (Vocabulaire d'Internet de l'Office québécois de la langue française, à la date de septembre 2003)
"Anglais electronic mail message Synonyme(s): e-mail message, electronic message, e-mail, e-message [...] Français courriel n. m. [...] Synonyme(s): courrier électronique n. m., message électronique n. m. Terme(s) à éviter: e-mail" (Ibid.)
On y voit une distinction et des confusions. L'Office fait une distinction entre le système virtuel pour lequel il recommande courrier électronique et donne deux synonymes dont courriel et la réalisation ponctuelle pour laquelle elle donne, sans recommandation, courriel, les synonymes courrier électronique et message électronique et la proscription de e-mail. Polysémie donc de courriel et de courrier électronique. Dans l'usage réel, ce sont les sens de "message électronique" et d' "adresse électronique" qui dominent et qui font appel aux formes simples, témoin une page d'adresses de l'Ecole Doctorale Chimie et Sciences du Vivant de l'Université Joseph Fourier de Grenoble qui contient six formes différentes :
e-mail, email, mail, mel, mél et mèl
Ces deux sites Office prescriptif (langue) et Grenoble pratique (discours) suggèrent que la forme simple courriel serait canadienne, alors que les variantes e-mail, email, mail, mel, mél et mèl seraient françaises. Comment confirmer ce sentiment dans le Web ? Écartons tout de suite la forme mel, trop souvent nom propre (Mel Gibson, Mel'cuk, etc.), et tenons compte du fait que pour Google la requête e-mail équivaut indifféremment à e-mail et à email, que mél correspond indifféremment à mél, mel ou mèl. Notre observation s'est limitée aux adresses explicitement canadiennes (.ca) d'une part, et françaises (.fr) d'autre part, dans les pages francophones de Google (avril 2003).
Requête courriel site:.ca : courriel x 248 000
Requête courriel site:.fr : courriel x 56 000
Requête +"e-mail" -email site:.fr : e-mail x 1 000 000
Requête +"e-mail" -email site:.ca : e-mail x 81 000
Requête +email -"e-mail" site:.fr : email x 624 000
Requête +email -"e-mail" site:.ca : email x 54 400
Requête +mél -mel site:.fr : mél x 103 000
Requête +mél -mel site:.ca : mél x 811
Requête +mèl -mel site:.fr : mèl x 6 870
Requête +mèl -mel site:.ca : mèl x 29
En bref, courriel est bien plus fréquent sur des sites canadiens, e-mail, email, mél et mèl sont beaucoup plus fréquents sur des sites français. Les formes e-mail et email seraient à examiner de plus près, bien entendu, puisqu'on rencontre souvent des séquences en anglais dans des documents dits "francophones" (c.-à-d. en langue française).
5.2. Pourriel vs. spam
Après le courriel, le pourriel. Ce dernier mot, que l'Office québécois de la langue française tient à distinguer (inutilement, à notre avis) de polluriel (pourriel = angl. junk e-mail ; polluriel = angl. spam), est, comme courriel, de facture canadienne. Parmi les multiples références dans la presse québécoise en ligne, citons André Forgues :
"Le monstre du pourriel (André Forgues).
Selon des statistiques récemment publiées, chaque internaute
recevait 571 messages de pourriel en 2001 et il en recevra 1500
en 2006. Cette croissance du nombre de messages de courrier
électronique non sollicités et non désirés explique en bonne
partie d'autres prévisions selon lesquelles le volume total de
messages transmis par Internet va passer de 31 milliards cette
année à 60 milliards en 2006 ! [...] Et il y a les chefs d'entreprise qui
commencent à se soucier des pertes de productivité engendrées
dans leurs organisations par cette avalanche de pourriel, ainsi
que les "honorables" sociétés de commercialisation qui
s'inquiètent de voir un formidable outil de communication
risquer de leur échapper, les internautes faisant de moins en
moins la différence entre les envois commerciaux "légitimes" et
le pourriel, ou spam." (Le Soleil, 7 octobre 2002)
Forgues avait parlé du pourriel en 1999 dans Cyberpresse ; l'Office québécois de la langue française avait déjà lancé des propositions de dénomination du phénomène en 1997. Le Jargon français note la provenance du terme en 1999 :
"pourriel n. m. [ARGOT] Néologisme, que j'ai trouvé sur quelques sites québécois, formé par la contraction de « courriel pourri », et désignant bien évidemment le spam." (Le Jargon Français, 27 février 1999)
Qu'en dit le Web en avril 2003 ?
Google, pages francophones : pourriel x 2 100, pourriels x 12 000
Google, pages francophones : spam x 127 000
Google, pages francophones, sites canadiens (.ca) : pourriel x 341, pourriels x 251
Google, pages francophones, sites français (.fr) : pourriel x 123, pourriels x 69
Google, pages francophones, sites canadiens (.ca) : spam x 3 990
Google, pages francophones, sites français (.fr) : spam x 18 500
En bref : a) le pluriel pourriels est plus fréquent que le singulier pourriel dans le Web francophone global il s'agit d'objets concrets , alors que dans les Webs nationaux restreints, c'est le singulier, le phénomène général, qui prédomine ; b) pourriel(s) est plus fréquent dans le Web canadien que dans le Web français ; c) c'est l'anglicisme spam de loin le mot le plus fréquent dans tous les cas de figure.
6. Genèse du concept "une autre mondialisation" et dénomination lexicale par altermondialisation
Avec le rassemblement de Larzac précédant la réunion de l'OMC à Cancun, la presse française du mois d'août 2003 a connu un emploi bien fréquent des termes altermondialisation, altermondialiste(s) et altermondialisme. Par exemple :
"La rentrée seule dira si le cadre festif et symbolique du Larzac 2003 aura été autre chose qu'un Woodstock altermondialiste. La cohérence n'est pas évidente entre la lutte des intermittents et celle pour la fin des subventions agricoles. Il n'est pas certain que le credo altermondialiste puisse servir de tronc commun aux contestations hétérogènes et multiformes qui ont fusionné un chaud week-end d'août sur la planète Larzac." (Libération, 11 août)
"ALTERMONDIALISATION : Philippe Seguin estime que les altermondialistes ne proposent que la suppression de l'OMC." (Le Monde, 19 août)
L'altermondialisation, c'est le phénomène ; l'altermondialisme, c'est l'idéologie ; les altermondialistes sont les adeptes du mouvement altermondialiste. En septembre 2003, les pages francophones de Google ont rendu les statistiques suivantes :
altermondialisation x 6 730 + alter-mondialisation x 1 740 = 8 470
altermondialisme x 1 770 + alter-mondialisme x 202 = 1 972
altermondialiste(s) x 19 260 (8 660 + 10 600) + alter-mondialiste(s) x 3 470 (1 180 + 2 290) = 22 730
Dans quelle mesure le Web permet-il de dater le concept et le terme ? Citons d'abord un article de la Wikipédia :
"Altermondialisation
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
L'alter-mondialisation est un terme qui désigne une forme de contestation politique apparue à la fin des années 1990.
Les altermondialistes se posent en opposants du néolibéralisme, de la guerre, de la pollution, des fascismes, de la pauvreté, etc. L'alter-mondialisation regroupe des personnes d'horizons divers, des nationalistes qui regrettent le délitement de l'idée d'État-nation, des démocrates qui constatent les limites de la démocratie, des collectivistes laissés orphelins par la chute du communisme, etc. Pour cette raison, cette nouvelle mouvance est souvent appelée le mouvement des mouvements.
Les manifestations de Seattle en 1999 contre l'OMC ont en quelque sorte lancé le mouvement des manifestations massives alter-mondialistes. Le rassemblement de Gênes en 2001, contre le sommet du G8 a vu la mort d'un manifestant tué par balle par la police italienne. En novembre 2002, s'est tenu le 1er Forum Social Européen à Florence, et 1 million de personnes ont défilé contre la guerre en Irak et pour un autre monde." ("Altermondialisation", Wikipédia, 22 août 2003)
L'idée d'un autre monde, d'une autre mondialisation remonterait donc à 1999. Pour les année 1999 et 2000, on trouve plusieurs attestations dont :
1999
|
"L'autre mondialisation. Depuis quelques années, des voix s'élèvent pour dénoncer la « pensée unique » néo-libérale. Comment cette contestation est-elle devenue un phénomène planétaire ? Quelles sont
les solutions alternatives ? Documentaire de François Christophe (France, 1999-1h). Enquête : Frédéric Castaignède. Coproduction : La Sept ARTE, Les Films du Village" (Le Monde diplomatique, "Transversales
science-culture / La mondialisation sur ARTE")
|
9 mai 2000
|
"09/05/2000 : Premier café-citoyen organisé par ATTAC 66 : « une alternative citoyenne à la mondialisation » (café la Source, Perpignan)." (Attac66)
|
12 juin 2000
|
"Congrès de la CISL : l'autre mondialisation [...] Date de mise à jour du document : 12/06/00" (Union Interprofessionnelle de la Réunion)
|
En septembre 2003, on peut observer les fréquences suivantes pour cetaines expressions-clés (pages francophones de Google) :
pour une autre mondialisation x 4 990
une autre mondialisation est possible x 610
une autre mondialisation est nécessaire x 15
une autre mondialisation en mouvement x 175
une autre mondialisation en marche x 14
Tournons maintenant vers les attestations en ligne de altermondialisation, altermondialiste et altermondialisme.
altermondialisation
3 janvier 2002
|
"Manifeste Initiatique Révolutionnaire 3 janvier 2002
[...] Dans le mouvement politique d'altermondialisation,
l'utilisation de sociétés secrètes, de la propédeutique & du modus operandi de l'occultisme peuvent devenir des outils de lutte." (Manifeste Initiatique Révolutionnaire)
|
21 mars 2002
|
"21 mars 2002.
Un pays décomplexé (4/5) L'Hexagone montre qu'il est vital de résister ».
DE FILIPPIS Vittorio; LOSSON Christian; MUSSEAU François.
[...] de la capacité d¹écoute de la France vis-à-vis des militants de l¹altermondialisation et de sa ténacité dans la défense de ses intérêts.»" (Occurrence la plus ancienne dans les Archives de Libération)
|
Avril 2002
|
"SOMMAIRE du n°73, avril 2002.
Page 10 Actuplus
- Porto Alegre ou les formes de 'l'altermondialisation'" (Science Frontières)
|
8 juin 2002
|
"Edition du 8 juin 2002. Jospin, retour sur une déroute [...] « La social-démocratie ne fait qu'accompagner la mondialisation en donnant le sentiment qu'elle peut de moins en moins agir sur elle », objecte Yves Salesse, président de la Fondation Copernic et partisan de l'« altermondialisation » (terme préféré à celui d'antimondialisation, considéré comme trop négatif)." (Occurrence la plus ancienne dans les Archives du Monde)
|
altermondialiste, adj.
2 février 2002
|
"L'histoire de l'irruption du mouvement altermondialiste. [...] Article paru dans l'édition du 2 février 2002." (L'Humanité)
|
13 septembre 2002
|
"La société civile et le politique.
Quels dialogue, quels rapports entre la société civile et le pouvoir politique? Quelles convergences, quelles complémentarités entre mouvements sociaux et politiques « altermondialistes »? Quelle articulation entre démocratie représentative et démocratie directe?
13/09/2002 - Horman Denis - Article" (Attac France)
|
21 novembre 2002
|
"La lente marche du réformiste Hollande [...]
Alors que les partisans du Nouveau Monde lorgnent vers les mouvements « altermondialistes », Hollande a revendiqué « une confrontation avec l'extrême gauche" (Libération, 21 novembre 2002)
|
altermondialiste, n.
18 décembre 2001
|
"Les Legal Teams: dernier rempart de sécurité des altermondialistes.
Olivier Coussaert, 18 décembre 2001.
Anti-mondialiste, Alter-mondialiste,... Très bon travail des Legal Team! Mais ma remarque porte sur le titre: voila donc qu'entrent en scène les altermondialistes. Je suppose que c'est une tentative de « positiver » le mouvement. Anti, cela fait négatif, n'est-ce pas?" (Page de forum intitulée Votre opinion...)
|
21 mars 2002
|
"Un pays décomplexé (4/5) L'Hexagone montre qu'il est vital de résister [...]
l¹image corporatiste, ringarde et très franco-française de la manifestation traditionnelle et institutionnelle, les altermondialistes partisans d¹une autre mondialisation made in France figurent parmi les pionniers" (Libération, 21 mars 2002)
|
17 octobre 2002
|
"Lettre ouverte aux alter-mondialistes. « L'hypocrisie derrière notre compassion ».
17 octobre 2002 [...] Guy Verhofstadt" (Sur le site Belgium at the United Nations)
|
altermondialisme
23 juillet 2002
|
"Altermondialisme ou reconstruction de la gauche ?
PAR BERNARD GUIBERT, mardi 23 juillet 2002" (AlphaVert.net)
|
18 mars 2003
|
"18 mars 2003. Economie [...]
modèle de cybermilitantisme tous azimuts. Entre contributions et appels, décryptages et plaidoyers, Babel de l'altermondialisme." (Occurrence la plus ancienne dans les Archives de Libération)
|
1 juin 2003
|
"LES MILLE VISAGES DE L'ALTERMONDIALISME.
Article publié le 1 Juin 2003. [...] Ils refusent la « gouvernance mondiale » des pays les plus riches, dénoncent les inégalités et réclament d'autres modèles. Par dizaines de milliers, les altermondialistes se sont donné rendez-vous dimanche autour du lac Léman pour faire entendre, dans toute leur diversité, leurs voix face aux dirigeants du G8." (Occurrence la plus ancienne dans les Archives du Monde)
|
Ces résultats, obtenus en quelques minutes de recherche, montrent qu'on peut facilement remonter les premières attestations de cette famille de mots au début de l'année 2002, voire plus loin. D'après ces premières données, le mot altermondialisme aurait apparu après les deux autres, ce qui est logique : l'altermondialisation ayant remplacé l'antimondialisation pour présenter une opposition plus positive face à la mondialisation, elle se serait par la suite érigée en idéologie, l'altermondialisme.
7. Sélectivité dictionnairique et extensivité du Web : doudou
Pour illustrer notre propos (nous l'avons déjà fait en passant dans plusieurs des sections précédentes), nous prendrons comme point de départ la chanson Caroline de Richard Desjardins :
"Prends ta robe et ton bijou, / dis bye bye à ta doudou"
Qu'est ce donc qu'une doudou ? Ouvrons quelques dictionnaires :
Petit Robert, 1993
DOUDOU [...] n. f. [...] RÉGION. (Antilles) Jeune femme aimée. Il était avec sa doudou.
Trésor de la langue française informatisé
DOUDOU, subst. fém. Région. (Antilles) et fam. Appellation tendre donnée à une femme. L'amour (...) La prononciation la trahit (...) la syllabe mour, prononcée comme mou, presque sans r et avec une ferveur de doudou (H. BAZIN, Lève-toi, 1952, p. 111).
Dictionnaire universel francophone en ligne
doudou n. (Antilles fr.) Fam. Chéri(e).
Encyclopédie Voilà avec Hachette
doudou n. fém. Fam. Femme ou mère, aux Antilles.
Si on y trouve une certaine confusion, on dira que majoritairement doudou, nom féminin, serait un terme antillais familier affectueux désignant une femme. Desjardins, québécois, dit-il alors à la jeune Caroline de quitter sa femme (antillaise) chérie ? C'est fort peu vraisemblable.
Regardons donc ailleurs, c'est-à-dire dans le Web. Henri Dès, chanteur suisse, dit au sujet de sa chanson Mon doudou :
"Dans mon « doudou » je parle d’un chiffon
que les enfants ont à une certaine époque de leur vie et je sais qu’il
y a beaucoup d’adolescents qui le mettent sous leur lit parce qu’ils
ne veulent pas le perdre, même s’ils n’osent dire qu’ils en ont encore
un... pour ne pas paraître ridicules aux yeux de leurs copains." (Page intitulée "Une âme de gamin", sur le site du journal L'Express à Neuchâtel)
On peut énoncer l'hypothèse qu'on dit une doudou au Canada, un doudou en Europe.
Passons aux statistiques brutes (Google, pages francophones, mai 2003) :
doudou(s) x 29 270
mon/ton/son doudou x 2 490
ma/ta/sa doudou x 733
Pour le féminin, on trouve des occurrences des deux sens, celui des dictionnaires et celui de Desjardins et de Dès. C'est le second qui nous intéresse ici. Citons deux pages :
"Tu sais, même les grands sont jaloux /
de toi ma Doudou et par-dessus tout, /
il va bien falloir /
que tu te décides à apprendre à nager, /
car maman veux te rapiécer /
et te plonger dans la machine à laver.
Le soir ce que j'aime le plus, /
c'est de m'endormir auprès de toi. /
J'aime ta senteur parfumée de fleurs, /
quand tu es tout enroulé entre mes doigts /
et que tu me chatouilles le visage. /
Tu es mon ami, tu me réconfortes beaucoup.
Je t'aime plus que tout, toi ma Doudou."
(Extrait de "Regards des petites personnes : Ma doudou", page québécoise)
"Ce ne sont pas les parents qui choisissent le doudou mais les enfants. [...] Peluche, morceau de tissu ou objet, le doudou les rassure."
(Extrait de "Le premier doudou", page française)
Un ou une doudou est donc un animal en peluche ou un morceau de tissu élu par le petit enfant comme ami inséparable qui le rassure. La langue des enfants dont une grande partie disparaît lorsque l'enfant atteint l'âge scolaire, pour revenir avec la paternité ou la maternité est beaucoup plus présente dans le Web que dans les dictionnaires.
Conclusion
La macro-lexicographie ou dictionnairique est de nos jours fondée sur le dépouillement d'importants corpus coûteux et essentiellement statiques, donc vieillissants par rapport à l'usage actuel, celui du moment de la consultation du dictionnaire. L'observation du Web comme corpus d'usages linguistiques, se situant au niveau de la micro-lexicographie (traditionnellement prise en charge par la lexicologie ou la datation de mots), a l'avantage de pouvoir se renouveler constamment en se fondant sur des corpus dynamiques.
On trouvera, dans le Net des Études françaises, aux adresses <http://www.etudes-francaises.net/acre/corpus/> ou <http://translatio.ens.fr/miroir-nef/acre/corpus/> (site miroir) des analyses plus développées de celles présentées ici.